Victorien Vanoosten - Hérodiade

LE POINT DE VUE DU CHEF D’ORCHESTRE VICTORIEN VANOOSTEN

 

Avez-vous beaucoup dirigé Massenet (tant dans le répertoire symphonique que lyrique) ?

Le premier opéra que j’ai dirigé à Marseille était justement Le Portrait de Manon de Massenet. Il s’agissait de mes débuts à l’Opéra de Marseille. J’ai également dirigé à deux reprises l’ouverture de Phèdre et joué quelques-unes de ses mélodies au piano. Malheureusement, Massenet est un compositeur trop peu donné, sauf peut-être à Marseille où l’on peut entendre une de ses œuvres au moins une fois par saison.

 

Comment expliquez-vous ce relatif désamour ?

En premier lieu je dirais qu’il y a la barrière de la langue. Le français est une langue difficile à maîtriser pleinement et surtout à comprendre, particulièrement pour un public non francophone. D’ailleurs cette difficulté de la langue n’impacte pas que les ouvrages de Massenet. De tout le répertoire français, mis à part Carmen, rares sont les ouvrages qui sont joués particulièrement souvent sur les scènes internationales

Deuxièmement, je dirais que les ouvrages lyriques de Massenet souffrent de certains de leurs livrets quelque peu décousus, ou parfois désuets ou difficiles. Hérodiade ne fait pas exception à la règle : Paul Millet et Henri Grémont (les librettistes) s’éloignent totalement d’Hérodias de Flaubert mais aussi de la source biblique avec, pour ne citer que cela, une histoire d’amour entre Jean et Salomé.

Mais je trouve cela dommage, car c’est une musique magnifique et qui a inspiré bon nombre de compositeurs par la suite.

 

Quel rapport entretenez-vous avec ce compositeur et que vous évoque son écriture musicale de manière générale ?

Je trouve que Massenet pourrait représenter une sorte de pont entre la musique de Wagner (n’oublions pas qu’il avait été pris en affection par Liszt, lui-même très proche de l’inventeur de la musique absolue) et celle de Puccini. En effet, on y trouve une écriture éminemment motivique comme le maître allemand (chaque personnage, chaque élément clé possède un thème musical propre et reconnaissable), ainsi que des aspects musicaux assez véristes, descriptifs des sentiments, dans une orchestration post-romantique et très enveloppante. La qualité des airs nous rappelle également le maître italien.

 

Il s’agit de votre première direction musicale de cet ouvrage. Comment l’avez-vous préparée ?

Lorsque je prépare un ouvrage je vais toujours du général au particulier. J’aime me plonger d’abord totalement dans le contexte qui entoure la création musicale mais également dans les sources littéraires du livret. Dans le cas d’Hérodiade j’ai donc évidemment commencé par lire les Trois Contes de Flaubert et particulièrement le dernier du recueil : Hérodias. Je me suis également penché sur l’histoire de Jean le Baptiste telle que dépeinte dans La Bible. Ces lectures permettent de cerner l’histoire plus intime qui se trame dans Hérodiade, souvent occultée par l’aspect « péplum » de l’ouvrage. La psychologie des personnages telle que dépeinte chez Flaubert m’intéresse particulièrement.

Une fois que j’ai toutes les informations concernant le contexte de la création et de l’écriture de l’ouvrage, je me mets à la lecture intégrale du livret sans musique afin d’obtenir une idée générale de la trame dramatique. Je lis ensuite la partition musicalement, parfois au piano ou seulement dans ma tête. Je prête alors, de plus en plus, une attention particulière aux détails de phrasé, d’articulation, de relation entre la musique et le texte, d’orchestration, d’équilibres, et beaucoup d’autres choses. Pendant les répétitions scéniques, je suis très présent pour conseiller les chanteurs. Je souhaite aussi trouver de petits moments avec chacun d’eux pour travailler plus en profondeur, comme une mélodie ou un lied.

Concernant les chanteurs, j’ai déjà travaillé avec certains d’entre eux et je suis très heureux de les retrouver. J’aime beaucoup ce temps de travail et de partage où nous échangeons nos idées sur la partition.

 

Comment décririez-vous les caractères des personnages principaux ?

Ce qui me plaît avant toute chose, c’est que la psychologie des personnages est particulièrement riche et peut être traitée d’une multitude de façons. De fait, chaque personnage passe par une succession de sentiments au fil de l’ouvrage. Salomé, par exemple, est-elle simplement un personnage naïf ? Elle est amoureuse d’un prophète qui, de surcroît, se trouve être son premier amour. Elle souffre également d’un sentiment d’abandon, car elle ne connaît pas sa mère. Jean est le prophète et semble vivre décalé du monde. Au mieux, il apparaît troublé par les avances de Salomé. Mais, est-il vraiment humain ? Hérodiade est davantage caractérisée par son absence de sentiment, notamment vis à vis de sa fille qu’elle ne voit, pendant une longue partie de l’ouvrage, que comme une rivale. D’où vient cette haine et cette lutte pour le pouvoir, au détriment même de l’existence de sa propre fille ? Son mari Hérode apparaît comme un roi faible (dont le pouvoir est illégitime et contesté dans l’Histoire, mais moins dans l’opéra), mais que faire de sa sensibilité ou de son égoïsme ?

 

Massenet utilise un effectif orchestral important avec certains instruments inédits (comme le saxophone par exemple). Pouvez-vous décrire cet effectif orchestral ? Qu'apportent ces choix du compositeur dans les couleurs qu'il parvient à trouver dans son ouvrage ? 

Dans Hérodiade l’orchestre est particulièrement important et immédiatement se pose la question de l’équilibre avec le plateau vocal. Cet équilibre avec la fosse retient toute mon attention et ma vigilance. Il faut donc des grandes voix en mesure d’affronter cet orchestre imposant mais également une science du travail d’orchestre afin de laisser passer les voix.

Concernant l’effectif à proprement parler, on est presque dans un orchestre Straussien avec par exemple les clarinettes par quatre, des cuivres nombreux, un orchestre de coulisse… Les saxophones sont une nouvelle difficulté du fait qu'ils sont particulièrement sonores. Ils donnent une couleur très particulière mais sont traités comme les bois, et rendent intrinsèquement l’équilibre d’une partie de l’orchestre plus complexe. Surtout, dans l’imaginaire collectif, le saxophone a vite été associé au jazz par exemple. Il faut donc veiller à ne pas tendre vers une sonorité trop caractérisée et bien les replacer dans le contexte musical de l’ouvrage (qualité de son, de vibrato ou encore d’attaque).

 

Dans quel cadre souhaitez-vous inscrire votre direction musicale ? Quelle est l'interprétation que vous souhaitez livrer ?

Mon interprétation est avant tout basée sur la relation entre le texte et la musique. Je ne dis pas qu’un élément est plus important que l’autre, bien au contraire, les deux aspects sont totalement complémentaires. Cependant, je veux que l’on comprenne le texte, l’action et l’intention, au delà de comprendre les mots. C’est un travail particulièrement difficile et d’une envergure considérable. Le travail avec l’orchestre ira également dans ce sens : servir le texte. Il y a dans cet ouvrage une multitude d’états et de situations diverses à traiter. Ainsi, je cherche à faire ressortir les contrastes, notamment dans les nuances, dans la puissance du rythme, dans l’orchestration, dans les timbres. Il s’agit d’être également expressif et faire en sorte que la musique soit inscrite dans un véritable drame. Je souhaite sublimer l’aspect grandiose pour guider l’aspect théâtral.

J’ajouterais que je souhaite représenter Massenet dans une ligne résolument moderne notamment dans le travail de la prosodie et dans le choix des tempos. Il faut trouver le compromis entre le respect de la tradition et du compositeur et le fait de vivre avec son temps. La musique est intemporelle et nous prévient de nos influences sociétales. Le tempo est la dernière chose que l’on choisi en musique. Le rythme et le texte nous guident dans ce choix, mais la personnalité des chanteurs, le lieu, la mise en scène nous influencent également. Le plus important pour un chef d’orchestre est de savoir exactement ce que l’on veut tout en restant dans une écoute et une ouverture d’esprit sans cesse renouvelée. Beaucoup de choses sont écrites sur une partition mais beaucoup ne le sont pas. Cet aspect nous permet, mais aussi nous oblige en tant qu’interprète, à faire des choix, à véritablement interpréter. Chaque soirée constitue une véritable remise à zéro, un nouveau moment de création, car la musique, art du temps, est éphémère. Si un spectateur assiste aux quatre représentations, il n’entendra jamais la même chose.

 

Entretien réalisé et retranscrit par Sébastien HERBECQ